sábado, 19 de mayo de 2012

trois prises : de tête , racines, poudre d'escampette .

                                                                                                             Petite introduction .
 Les hasards des vents m' ont fait croiser il y a fort longtemps un type qui ne m' était pas antipathique , les mêmes hasards m'ont remis sur son sillage . Devenu photographe professionnel et franchement sympathique ( selon mes critères) , il  m' a donné un accord généreux pour utiliser ses images . Un grand merci á Christophe Gardner , dont les albums sur Facebook sont de ces friandises irrésistibles auxquelles on revient pour se sentir vivants .                            

                                                                                                             Délire transdiluvien.
                                                                  
Il pleuvait depuis trois semaines . Quand je dis qu' y pleuvait , pour qu' vous compreniez bien , j' veux dire toutes sortes de pluies , précipitations atmosphèriques qu' y disent à la télé ... de toutes les couleurs , vertes et pas mûres ...  Par des averses méchantes , hallebardesques , de celles qui te fouettent la gueule et l' ame sans prévenir , ça avait commencé ... en pas deux secondes , la douche ... ah ! ça tu te sens vivant , le pif déchiqueté , les cils en essuies-glaces qui peuvent plus assurer , la goutte au nez , pas la goutte plutôt le ruisselet ... le rû ... dégoulinade ... plic plic ploc plic plic ... " I ' am singing in the rain " ... " Toute la pluie tombe sur moi " , " Un p'tit coin d' parapluie ". Le répertoire y passait . Des fois , ça paraissait se calmer , tu retirais ta capuche , t'en pouvais plus d'être moite , tu te pressais de trouver ton logis ... ou un logis quelconque susceptible de t' accueuillir une heure ou deux le temps de sècher un peu ... S'abriter ...le but , l' idée fixe ... Sècher un peu , lubie ... mais te presser te donnait chaud , tu retirais le suroit , te détendais un moment , ralentissais le pas , respirais pleins poumons , à la maitre-nageur... et vlan ! pflash ! un autre cumulonimbus venait te faire ta fête , sabrer le champ' céleste façon pilote de formule 1 , plein jet plein ta pomme ! Aspertion !... Redouche ! ... Mais pas que ça qu'on avait eu . Après les douches , écossaises en diable , on a dit bonjour les trombes ... tournoyantes , façon cyclone , dans les avenues , rues , ruelles , cours et arrières-cours , cloîtres , patios ... de cette petite ville où je trainais ma peine ... Pour précipiter , ça précipitait ! Y avait plus d' ciel depuis des jours , juste un fleuve qui nous surplombait en éclaboussant sa rage , nous glaviotait son mépris liquide , inondait le bitume et la vanité des hommes de son indifférente incontinence ... ciel , sol , haut , bas , y avait plus guère que les lois de la gravité et la géométrie euclidienne pour savoir où était quoi . Averses , trombes , deux semaines de soupe , de la grèle même des fois ... Comme si on n' avait pas assez été douchés , y avait eu une suite . De la tempête kung-fu qui te laisse groggy enfermé quelque part où l'eau rentre pas , enfin , pas trop , assourdi des hululements , ricanements de hyènes défendant leur charogne , mugissements vengeurs minotauresques , orgues gothiques outre-tombales ,vrombissements poltergeist ... que l' artillerie éolienne poussait ... en largant obus liquides , pilonement , tout calibre ...  de là , de la furie climatologique , on était passé à un calme gris relatif , un cessez-le-feu unilatéral ( tu parles ! unilatéral ... et pour cause ! Bien content qu'on était l' humanité de pas être noyés , liquefiés , dissous ... et dix sous , pour l' humanité , somme toute c'est p't ' être pas un mauvais prix ... ) . Ouais , ouais ouais ... on rigole , là , maintenant , normal , on s'en est sorti ... sortis du plus de ciel , hululements , trombes , torrentielles ...Vous avez remarqué comme on est content d' être vivant après que l' Ankou soit passé pas loin ? On rigole pour bien cacher notre frousse , ou alors on se marre d' avoir encore un sursis ... même si on sait que le sursis c' est guère plus qu' un leurre cruel ... Toujours est-il que tout le monde avait la peau des doigts fripée de tant d' humidité , la mousson du genre portative et individuelle , qui te suit te poursuit . Cherchez plus l' Atlantide , ici , là , partout qu' elle était ! Vous vous dites " Il exagère , il va nous parler du déluge . Mathusalem gagateux , croire qu' c'était le mont Ararat son village qu' y nous cause ! " Aah ! Mes p'tits cocos !... Je vous réponds , vous l'aurez voulu , z'avez étés prévenus ... qu' à lire mes parutions , venez pas dire après que je suis soupe-au-lait instable cinglé ... Mon pote le Docteur Alois Alz......er ( merde j'oublie son nom de famille , pourtant j' connais qu' lui ... ) et moi même nous vous pissons à la raie . Avec le plus grand respect qu 'exige cette foutaise de correction politique , bien entendu ... Et même si c' était que j' exagère ? Dites ! Vous y étiez , vous ? Les avez vues sauter les plaques d`égouts , 20 kilos de fonte propulsés par un geyser de fange , avez essayé de traverser une rue en pente sans perdre vos godasses ? Torrents les rues en pente, mes amis , cascades les escaliers , manquait plus que la remontée des saumons ! Au rythme où ça allait , l' inondation , z' allaient pas tarder , les saumons ! Avez-vous seulement expérimenté une fois , une seule fois dans votre petite vie , cet instinct qui fait que tout animal recherche le point le plus élevé de la région ? Z'avez vus les chats , les chiens , les mulots , vivre en compagnons d' infortune entre les pattes des humains terrés aterrés ? Les cancrelats , les cafards qui fuient la noyade ? A la limite j' vous excuse la médisance si vous avez naufragé , radeau de survie , de la Méduse , Titanic ... Bon , j'arrête mais c'est pasque je veux pas vous perdre dans mes querelles ... et que j' suis un peu ours , j' vous l' ai accordé dès la première parution , on va pas y rev'nir . Et puis ces interventions votres , vous vous les gardez bien au chaud et les mettez dans la case " commentaires " , on vous répondra ... peut-être . J' vous disais : la pluie , les pluies , cette acalmie , trois gouttes , rien pour ainsi dire , et puis enfin le ciel ... ou ce qu' il pouvait en rester ... qu' on savait plus depuis des jours si y avait un ciel .... revenu il était , plombé , gris , plein de nuances de gris , moutonnements compacts hermétiques, plutôt apaisants vu ce qu' on avait subi nuits jours semaines durant . Ouiche ! Pas longtemps qu' on a pu l' voir le ciel !... le temps tout juste qu 'on sache qu' il nous était pas tombé sur la tête tout entier... le temps qu'arrive gentiment la bruine .... crachin ... Plus du glaviot comme j'vous décrivais les jours furieux qu'on avait eu , plus ça du tout  maintenant  : du brumisateur ... nébulisateur ... de l'eau encore mais atomisée , un brouillard qui tombe tombe tombe sans discontinuer ... et remplit les poumons ... un temps " parti pour rester " qu ' y disaient les gens à la supérette . Partir pour rester .... une idée comme une autre , le populo l' a des formules qui portent à philosopher ... Mais on n'est pas porté aux grandes réflexions quand on risque à chaque pas de s' cogner la tronche dans quelqu'un , contre un mur , un réverbère , trébucher sur une plaque d`´égout retombée des geysers ... visibilité deux , trois mètres , la ouate ... " De toutes les matières , c'est la ouate qu'elle préfère " chantait Caroline Loeb . Y avait plus guère que ça , la chansonnette , les ritournelles , pour garder un semblant de moral ... La bruine ça vous rentre , ça vous colle , ça vous lache plus ,vous faites éponge .... déjà qu' les fringues sentaient le moisi , là on étaient près pour les champignonières sur les moquettes , dans les chaussettes ... draps moites , papiers peints qui cloquaient , décollaient ... jusqu'au plâtre des murs qui tournait argile , s' effritait poussière ... murs et plafonds façon boue . Puis bibi je m' trainais par la ville , morose ... au bout d' un moment l' ambiance commence à déteindre sur l' individu , tout ce gris , cette flotte ... des jours , semaines , durant ... l' humidité partout , dans tout . Et le ciel qu' après des semaines on avait cru revoir ?... pas sûr ... nuages , grisaille , ça qu' on avait vu ... Dans ma tête les chansons devenaient nostalgiques , parlaient plus de tropiques , de filles sucrées , de fruits rares , avec jeux de mots ... à la place : la môme Piaf , la Gréco , Barbara .... Tiens , Barbara ..." Il pleuvait sur Brest ce jour là , et tu marchais souriante , épanouie , ravie , ruisselante sous la pluie ... Rapelle-toi Barbara , il pleuvait sans cesse sur Brest ... " . Prévert , mon enfance , ceux qui m' lisent le blog savent bien ... La déprime météorologiquement induite , j' connaissais les symptomes , déjà y a des années après qu'on m'ait mis en kaki avec quelques centaines de gugusses tout aussi démotivés que mézigue , je pensais plus ... ou presque plus ... ralenti ... en monocolor les pensées ... du monocolor kaki . Ça marque . Y a des trucs , comme la déprime , que le bon docteur Alois vous escamote pas . Connue , la déprime , reconnue ! Du coup thérapie de choc , réaction immédiate de vot' serviteur , pas sombrer , pas se laisser entrainer par la baisse dégoulinante de moral  , pas mon genre ... la déprime , les crabes , et même mon pote Alois des fois , j ' les emmerde ... Thérapie : gymnastique lente mais obstinée , á la chinoise ... tan tien etcaetera ... Riez , n' empêche qu' aprés j' me suis souvenu d' une boutique ... une échoppe ... pas loin d' la mairie ... ou de l' église ... un fleuriste ... vers la mairie , après le bar-tabac qui f'sait angle , la boulangerie à coté , la banque presque en face ... Quand tu sens que ta joie de vivre s' effiloche , tu cherches quelque chose qui te fasse un peu rêver ... le fleuriste , sa boutique , bouée de sauvetage ! J'étais passé vingt fois devant , dans ma errance ... la tête dans la capuche ... une toute petite vitrine , embuée un peu . Mais toutes les vitrines étaient embuées  ... ou carrément aquarium ... Qu ' on savait plus , j' vous assure , de quel coté d ' la vitre de l' aquarium qu 'on était ... si vous vous faites une idée ... Oh mais ! pas que fleuriste : fleuriste- pépiniériste , s' il vous plait ! Dans la vitrine des plantes vertes , des fleurs en pots , en gerbes , des bonzais , des cactées ... derrière la buée ... qu à force d'être dans la brume , la bruine , on savait plus si elle était dehors ou dedans , la buée , de quel coté  l 'aquarium ... essayez d' imaginer , pas que j' vous répète ... Et puis là dedans , au-delà de la devanture : des murs couleur d' azur , une couleur qu' on n' avait pas vu là haut au dessus de nos têtes depuis des jours , j' vous ai dit , j' vous répète , désolé , ma vieillerie , mes radotages . Ou lagon , comme couleur , les murs ... que ça vous donnait presque envie de vous plonger dedans , même tout habillé ... vu qu' on était déjà trempés , détrempés ... Ce matin-là j' me suis décidé à entrer ... un besoin pressant , c' était , entrer pour voir de la couleur , du naturel , de la terre pas submergée . Z' avez vu " Water world " , le film ? moi pareil , à la recherche du bon vieux plancher des vaches , du stable , du coloré , de la verdure ... Pourtant l' élément liquide j' aime , j' ai passé du temps dessus , dedans , dessous même ... mais là , y m' fallait des parfums , ou au moins quelque chose qui m' y fasse penser , y croire . A l ' école on nous disait " l'eau est incolore , inodore et sans saveur " ... c' était avant qu'ils nous foutent des hipochlorites et toutes leurs saloperies chimiques dans la flotte ... Je digresse , faites excuse , un vice que j'ai , coq à l' ane et Docteur Alois ... Le fleuriste , j' y reviens , j' vous ramène devant , là après le coin bar-tabac et  la boulangerie , moi dans mon ciré , bottes en caoutchouc , dans l' crachin , la mouise , la purée d' pois ... sorte de Boudu sauvé des eaux moderne , caricature d' un Michel Simon de sous-préfecture en manque d' un Jean Renoir , j' étais . Pauvre , heureux , mouillé morose , en vue du lagon ... Un p'tit temps d' arrêt devant la porte vitrée ... savourer à l' avance , mon truc á moi , un rituel pour ainsi dire ... me remplir les mirettes du bleu lagon des murs , lá-dedans . Le chambranle de la porte ... bois sombre , encaustiqué à l' ancienne , pas un de ces vernis dégueulasses qui s' écaillent , qui lèprent ... là la pluie la bruine les gouttes glissaient dessus , hydrographies capricieuses ,cabalistiques bon signe je m'suis dit . Du solide , du hêtre , p'tèt ' du chataigner , dur de voir , aussi bien ç' aurait pu être du chataigner que du merisier , question essences lignifères j' entrave pas un pet ... en tout cas chaud à l' oeil , au coeur ... Soigné , ciré , encaustiqué , graissé , pâtiné . Imputrescible . Du bois qui se laisse pas submerger , le déluge impuissant , j' vous disais bien , cette échoppe : bouée de sauvetage , bois de survie . Allez hop , je m'ébroue façon chien mouillé , j'en ai l' odeur d'ailleurs du chien mouillé . Pas qu' moi , tous on sent l' chien mouillé , moitié fauves moitié lichens . Poignée de porte en faience vieil ivoire montée sur laiton . Magie ? J' entre .


Croyez moi croyez moi pas , là tout de suite , le seuil , la porte , l' entrée ... un vertige . Ou plutôt l' inverse , une ivresse , une lévitation , une bouffée . Pas qu' j' ai l' nez chatouilleux ( tiens , une petite contrepèterie facile , pour les amateurs ) , presque anosmique j' étais avec ma sinusite , de tant et tant d' eau . Et pourtant , c' était bien des parfums qui m' tournaient un peu la tête , léger léger je m' sentais d' un coup , en apesanteur ... baigné dans la couleur lagon des mers du sud ... en fermant les yeux , mouillé trempé comme j' étais , je m' sentais dans ce lagon , j ' flottais dans les eaux turquoises , bercé par les ondes languides que la barrière de corail laissait passer parcimonieusement ... la petite Rarahu , la fiancée de Loti  lieutenant de vaisseau ( et non de Léautaud lieutenant de vessie , pas confondre ) coiffant ses cheveux sous les palmes , invitation luxuriante , luxurieuse ... dans un pré sentant le manioc et l' orchidée sauvage les chevaux blancs peints par Gauguin paissent et renaclent ... Oh mais non ! Par la barbe de mes aieux , nom d'un p'tit bonhomme de tonnerre de Brest ( c'est rien , une réminiscence , Brest , Barbara ...) ! J' ouvre les yeux , diantre foutre et palsambleu , c'est pas des chevaux , c'est pas des hénnissements lointains , le ressac non plus , c'est un mec !  y m' cause je crois ... Un type tout c'  qui y a de normal , en blouse bleu-gris , cheveux courts , petites bajoues naissantes , archétype du  fleuriste-pépiniériste dans les quarante balais  ... Pas la petite Rarahu , non non non ! ... Ce que j' prenais pour le bruit du ressac , pour la mélopée lointaine des vahinées , pour des soupirs alizéens , non non non , c'est sa voix ... basse , douce , rassurante , un filet de voix chantonnant , comme une berceuse ... un murmure frais et rauque à la fois ... baryton  j' dirais ...Attendez , un moment ... je reviens sur terre , je redescends dans l' échoppe , y m' dit quoi ? hein ? quoi ? Il parle pas fort j' vous ai dit , y m' demande queq' chose ... Si ça va ... ça va ?Euh !.. Hein ? une chaise ? Oui , une chaise , j' veux bien , c'est  gentil , merci , pardon , excuses , on est si bien dans vot' boutique , que j' lui dis ...
__" Bien entendu , monsieur , vous n' êtes pas le premier à entrer et à avoir un petit malaise ..." Son demi sourire entre gentil et ironique est pas pour me déplaire ... ambigüe attitude . " Veuillez prendre ce siege , monsieur " . Deux fois qu ' il m' appelle monsieur , ça fait drole , avec ma gueule de traine-les-rues immigré , j' ai pas l' habitude .
Je reprends mes esprits , enfin , ce qui me sert d'esprits :
__ " Pas malaise , " j'y dis , " juste comme un bonheur qui vous tombe dessus " . Et j' lui chante du Gilles Vigneault : " C' était un p'tit bonheur , que j'avais ramassé ... " Il va se dire que j' suis bourré ou qu' y m' manque une case ... Tant mieux ,  je cherche pas la conversation ... Mais pas du tout ,gourance , v' la t' y pas que l' quidam y m' la continue en souriant , rêveur : " Il était tout en pleurs , sur le bord d'un fossé ... " Ses  "r"  roulent doucement comme les calots dans la poche d' un môme ( les mômes jouent-ils toujours aux billes ? ) , ses "s" sifflotent comme l' osier d' une chistera en mouvement , y a d' la farigoulette et du romarin dans l' intonation ... M' étonnerait pas qu' il ait une petite panse rebondie sous sa blouse ... Ici dedans ça fleure bon le terreau  , le frais , la capucine , la primevère , les jonquilles . Ça doit sentir pas mal fort , vu que malgré la sinusite mes narines frémissent , picotent ... je m' assieds  , je referme les yeux ... me laisse glisser  dans le lagon ... goyaves , maracuyas , jujubes , azalées , sterlizias , je sais plus c' qui est imagination , c' qu' est réalité . Hallucinattions olfactives , propres des hyposmiques ... on s' invente des senteurs , on mélange des souvenirs lointains de quand on avait encore de l' odorat , le shalimar dont s' aspergeait ma mère , le varech des gréves , les silex des bords de Loire , la résine des pins , la bruyère , les ajoncs en fleur , l' effluve ensorcelante d' un sillage féminin , le sable des dunes chauffées à blanc , le bloc opératoire de chirurgie , le lait bouilli , des amandiers faisant éclater  leurs bourgeons , la nuque d' une rousse naturelle , le fenouil sur un bar grillé , la naissance des seins d'une blonde , les encrier des pupitres de la communale , le pubis d' une brune , le souk de Marrakech ...tout se mélange et vous saoule ... Heureusement que je suis sur cette chaise , ça recommence à faire tournez manège dans ma tête , faut qu ' j' rouvre les yeux , que j ' fixe un point stable ,  me refasse géostationnaire ... sortir du balancement des vagues paresseuses de c' lagon . Le pépinièristte accueuillant  serviable et ironique est plus devant moi , il fourrage dans des fougères , arrose des arums ... volète entre les violettes ... Il vaque de-ci-là débonnaire entre des primevères , se penche sur les pensées , sur ses pensées aussi  il m' semble ... Un rèveur un peu il doit être , songeur ... À quoi qu' il pense c't 'homme ? ... En tout cas il m' a oublié ... j' reste isolé entre les azalées ... dans l' coin des bonzais ... La houle dans ma tête reflue , ça se fait plus stable autour ... Bibi en profite pour jouer des mirettes  , s ' les remplir de couleurs ... des feuilles , des pétales , des sépales , des étamines , des pistils ... des jaunes poussin , mordorés presque bruns , des ors tirant  sur le vermeil , des rouges sang , pourpres cardinales , des mauves , bleus de Prusse , des blancs éclatants ou déjà cassés , coquille d' oeuf , et puis du vert de toutes les nuances , une jungle de verts  , du vert taché de vert , strié de vert , des dégradés de vert . Primeur , sombre , frais , brillantiné , du vert ! du vert quasi bleu , du vert quasi jaune ! Explosions de verts ! Les gens s' extasient , se pâment devant les bruns de l' automne , patati patata , mais les verts du printemps , j' sais pas , c' est comme une énorme bouffée d' oxygène , de vie , un voyage en ballon ... faut croire que les feuilles vives me plaisent autant sinon plus que les feuilles mortes ... les pòusses , les arbustes , les frondaisons , un sous-bois où entre un rai de soleil ... qui chauffe et fait pêter les bourgeons ... les milliers de spores dansant dans ce rai de lumière , comme un encens á la vie ... Lumière ? Rai ? De soleil ? C' est pas une hallu , ça , je l' vois , d' un coup il fait plus clair dans ce lagon , pardon , dans cette boutique , moi le cul sur ma chaise ... Pas possible ... sûr c' est mon malaise , un éblouissement ,  j' croyais qu' ça allait mieux , nakash bono bezef , j' vais pas tarder à virer d' l' oeil  oui ... Ah mais non ! pas hallu , de la lueur , du jour , mon pépiniéristte chantonneur aussi , il le voit ... ce rai ... il s' approche un peu de la porte vitrée , un pas presque imperceptible , il patine , lévite ... L' a l' air de pas trop y croire , moi non plus d' ailleurs . Du coup je l' regarde , lui , le démiurge du lieu . Il se penche un peu , regarde le ciel par dessus les toits rincés ... optimiste je l' trouve , du ciel c'est pas sûr qu'il en voye , pas sûr qu 'il en reste ... Enfin quand même , cette lumière du dehors ... cette fente de lumière qui enfle , dilate , danse , joue ... Il en pense quoi lui , le pépinériste ? Démiurge je disais ça pour rire , pas me moquer non , moi moqueur , un peu , oui , certes ... mais pas méchamment ... tendrement mutin ...  Démiurge ! ... de là à c' qu' y puisse faire apparaitre un rayon de soleil ... possible après tout que les parfums me tournent la tête ... Ou qu' on soye en pleine féérie dans un oasis du Pays des Mille et une Pluies . Bon ! le v'la qui se r'dresse , poings sur les hanches ...plus songeur qu ' avant , je trouve , rêveur superlatif ... J' crois bien qu' il l' a vue , la lumière ...  façon Blues Brothers ... manquent que les godspells ... Ah mais je veux , qu' il l' a vue ! le ciel même , si ça se trouve : sur son front y a comme une lueur , réverbération ... ses tifs grisonnants s'argentent ... serviteur est casi anosmique , soit , mais pas miro ! Si ce mec me joue la comédie , faut direct lui donner un César ! Va savoir , aujourd'hui avec leurs programmes télé  caméra-cachée , leurs youtubes ... Aujourd'hui faut plus croire à rien , ça qu'ils veulent les ceusses qui font profession de junkys du pouvoir , plus qu' on sache très bien c' qui est réel , c' qui est virtuel ... Y a plus guère que les traine-misères dans mon genre qui s' souviennent d'avant c'te foutue réalité virtuelle , les vieux ours mouillés depuis des semaines , réfugiés au milieu des fleurs en pots , qu' ont souvenir d' un temps ousque le virtuel s' appelait imagination . Enfin quand même ce s'rait un peu fort de café , qu'il me prenne comme objet d' une de ces blagues ... et puis d' ailleurs j' en ai rien à foutre , là maintenant je vis un truc pas commun , y s' passe quelque chose , j' en profite , en plus moi pas mesquin j' vous l' partage ... notre pépiniériste ... Du rouge lui est venu aux pommettes , ses sourcils se sont un peu relevés , ses narines frémissent  ( à lui aussi , ça doit dégager les odeurs , voyez , pas délire du tout , la stricte vérité vécue , telle qu' elle ) , il papillonne des paupières . Proie d' une intense émotion comme diraient certains ...ceux qui plaisent , vendent , produisent , alignent les mots. En tout cas , c' est comme si j'existais plus pour lui ... Pas m' en plaindre ! Tant que j' peux rester au sec ... dans tout ça c' qui m' importe c' est de m' goinfrer de sec , de couleurs , parfums , effluves ... tout hyposmique que j' sois , un caprice disons . Ce trait de lumière qui serpente au dessus des corolles , quand même , c' est bizarre , comme une caresse sur du velours , comme un frolement micrométrique sur le léger duvet blond de la cambrure de mon aimée , Sole ... Bizarre , sensuel , captivant ... Et puis pourquoi je m' sens tout lèger ? Depuis que j' ai franchi la porte , tout moi se sent heureux . Le voilà mon malaise , le voilà le  " P'tit bonheur " de Vignault , pas mon état normal , ça ... pas désagréable , peux pas dire ... un shoot puissant , un trip au pays de  " j' suis bien " ... C'est pas tant que je sache pas c' que c' est , heureux je suis , à tout instant , même les durs , miraculé en sursis reconnaissant suis ... mais moi c' est le bonheur discret , intime , serein ... pas à l' affiche . Là , explosion de bien-être , la  " fraicheur Fa " de la publicité ... Une vieille pub' , aujourd'hui ils te disent carrément : la crème Machin , offre un shoot de fraicheur à ta peau !  Les mecs d' aujourd'hui se shootent à la crème faciale . J' vous dis ça en passant , vous vous en foutez , " Au fait ! Au fait ! " je vous entends toujours pressés , "  speed " . Un moment ! Si j' vous dis que là maintenant tout de suite tout va bien , très très bien , fleuriste enchanteur ...  si y' avait pas mes bottes en caoutchouc , probable que je léviterais moi aussi , comme c' t' homme ... Il a gardé une main sur la hanche droite , de l' autre il explore ce rayon chaud , rayon de soleil , le doute est plus permis , dehors y fait jour , c'est plus purée de pois grisaille , lumineux d' un coup , un lumineux timide , un peu pâle , un soleil convalescent , vaguement anémié , qui semble s' excuser d' avoir tant tardé ... mais soleil mes p'tits potes , soleil ! Sa main gauche  joile main de quarantenaire boutiquier , j' la vois ... qui ondule dans la lumière , j' vous ai dit , mais non c' est pas vrai ! C' est la lumière qui vibre autour de ses doigts , son poignet ... lui qui guide le rai , lui qui l' expanse ! J' vous raconte pas des bourres , regardez vous-même , il la dirige la lumière , la fait couler par ci par là ... il pianote doucement du bout des doigts au dessus des étals , un sable fin d`étincelles dorées saupoudre les étals , les corroles se font plus vives , se redressent ... Parole ! Pas des craques , pas des fards : ses doigts comme la fée Clochette de Peter Pan ... Magicien , marchand de sable ( celui qui , sur son nuage , disait " Bonne nuit Nicolas , bonne nuit Pimprenelle " et Nounours ajoutait " Bonne nuit les petits "). Petit à petit la lumière se fait plus chaude , plus douce , tendre , enveloppante , je m' dissous dedans , j'existe plus ... Et si ce type dans sa floristerie - pépinière cultivait des choses pas avouables ? Que leurs vapeurs me f'raient l' effet que ... qui ... ? Il répand la lumière , la chaleur , la douceur , tranquilement , pas à pas , d' une plante , d'une fleur l' autre ... L' est plus très loin de moi , il murmure , ventriloque ... leur dit des choses aux choses végétales ... J'essaie de comprendre ce ron-ron qui sort de lui ... rassurant ron-ron , thérapeutique , ah c' que j' suis bien ici ... L' a l'air de dire , avec les yeux aussi : " Mes mignonnes , mes douces , mes belles ... C' est l' heure , Monsieur Printemps est arrivé , venez lui faire un bisou , il a amené les friandises que vous aimez tant ... Anémone , Rose , Marguerite , épanouissez vous , Lys redresse-toi ... " Alors là il me souffle , le gus , pas que magicien doigts en pluie de photons , enchanteur poète aussi ... dingue ? Psychopate peut-être ...  Y a personne que lui et moi dans son bouiboui ,  aux fleurs qu'il cause ! Gromelle , psalmodie : "Finis les frimas , bientôt nous sortirons , vous prendrez le frais sous l' auvent , plus de lampes électriques mes aimées ... Ça a été dur , je sais , ces mois passés mais ça y est , c'est la Renaissance , Ronsard , La Boétie , Marot  , Louise  Labbé , Montaigne, l' école de Fontainebleau ... Je vous ai lu ces suaves créateurs ,vous ai montré Gabrielle d' Estrée . Ahh ! le manièrisme vous va si bien ." En temps normal je resterais pas une minute de plus avec un pépiniériste qui ventriloque en semant des étincelles , des éclats incandescents , des ondes de chaleur . Mais les temps sont-ils normaux ? Et puis je vous ai raconté , cette torpeur ... et pourquoi qu 'il  cause de ce portrait de Gabrielle d' Estrée ? Comment , qui peut savoir ? ... que ce portrait fût , entre mes 6 et mes 9 ans , l'origine de l'éveil des sens , des premières  tentatives de branlettes ...? Les hasards , les coincidences , et si c' était fruit de nos désirs ? Philosophe anosmique mézigue , mais z' y avez pensé à ça ? Que chacun crèe son propre destin , son propre vécu ? Mirage tout , donc pas bien grave ... Arrivera ce que peut , ce que veut ... Enfin tout de même , il est bizarre ce pépiniériste , vous me direz pas ... J' vais pas moisir sur cette chaise ... il fait sec , il fait jour , y a sûrement un peu de soleil , le ciel dehors là-haut revenu , revenu pour rester dira-t-on à la supérette ?  Mais ... la torpeur ... le bien-être , j' vous ai dit ... ou quoi ou qu 'est-ce , pas la force de me bouger ...  Il est tout près maintenant l' apologue du XVII siècle , mi-homme mi dieu , moi comme un con je peux pas éviter de tendre l' oreille , regarder ses mains , tout le petit local illuminé , le lagon chaud , scintillant  hypnotique ... Et puis il tourne la tête vers moi affalé nonchalant sur la chaise , et là , de profil , il fixe son regard sur mon front , là pile entre les deux yeux ...  Gast! Alarme ! maximale , immédiate . Je réussis à me redresser , hop ! Pas être loque , ou pas le paraitre ...Ça y est , pas facile , mais j' suis debout . Eh ! Et même pas vouté , droit dans mes bottes ! Par la force de la volonté , j' vous dis , concentration maximale , l' instinct ... L' instinct et la technique taoiste , tout dire ... Des années et des années à étudier ces chinoiseries ... ridicules ... que vous dites ... n' empêche ... Je me ressaisis ... Ah ! bien sûr vous , tout de suite , vous m' ratez pas , arguties de vos vipèrines langues : " Taoisme ? L'art du Wu wei , du non-agir , qui fait que tu te ressaissises ? Antinomique , fraudeur , toi et ton copain le Docteur Alois Machin , là ... Depuis l' début à nous raconter des bourres , menage en bateau etcaetera ... " Alors là je vous arrête tout de suite : d' une , j' vous rappelle encore une fois pour les mal-comprenants , z' avez une rubrique " commentaires " pour ces remarques oiseuses votres , et deuzio non-agir ça veut pas dire rester assis sur son cul , causez pas de c' que vous connaissez pas . Et toc ! moi sgreugneugneu et ronchonchon , pas aimable peut-être  , c' est c' qui m' sauve ! J' suis debout , j' vais prendre congé poliment , pas gèner , c'est un peu intime ce  truc du gugusse qui propage le soleil et fait causette avec son arrière-boutique végétale , j' voudrais pas être de trop ... Lui y continue à me regarder de profil là son poing sur la hanche , main gauche sucrant les fleurs de douceur et lumière , mais fixe le regard , sourire changé , professionnel , automatique ...             
__ " Jeeeeuh ... " Pas le temps de dire plus , il se dirige à moi voix sourde caline qui fait vibrer l' air :           
__ " Vous en avez l' ame , je l' ai vu dès que vous êtes entré ..." De quoi t 'est-ce que c'est t'y qui m' raconte ? ... L' ame ? de quoi ? ... plus bargeot que moi , pas blanc-bleu le citoyen pépiniériste ... forcément , lui vivre tous les jours au milieu des effluves , bien plus atteint , pensez ! Déjà moi , la sinusite protègeant , je sens bien qu' il y a quelque chose dans l' air ... des spores ? ... Alors lui intoxiqué dernier globule , sûrement ... c'est où la sortie , c'est comment qu'on l' freine ?           
 __ " Vous feriez un excellent bonzai d' ailante , savez-vous ? Vous avez ce port un peu altier , comme détaché de tout ... vous ne sentez pas très bon ... propre de l' ailante ... vous devez aimer l' Asie ..." Il commence à m' énerver un peu , monsieur le mage du règne végétal , sa prestidigitation photonique , ses intonations encantatoires , divination entropique...                                                                                  
__ " De plus , comme l' ailante , vous avez l' air d`être totalement inutile , sans vouloir vous froisser . Vaguement décoratif , certainement prosélytiquement subversif...  vous êtes le candidat bonzai parfait ..."  Ah! Ahh! J'adore !  "sans vouloir vous froisser " ! En fait ça ne me froisse pas , je sais déjà que l' ailante est un arbre fait d' un bois casiment inexploitable , il va jusqu'à bruler mal ... c' est vous dire ... Mais qu'on veuille faire de moi un bonzai ! Pour ça qu' il m'avait assis , envouté dans ce recoin , son ron-ron ... Minute papillon ! Un petit peu de s' il vous plait !  Sachez bien , les racines , quand je me les sens pousser un peu trop , je les coupe ...les tranche ... En Amazonie on dit qu' y avait des indiens réducteurs de têtes , ici on a des pépiniéristes qui te rèvent bonzai ! Te voient en pot ! T' ensorcellent pour ...  A ça qu' elle est parvenue notre magnifique civilisation post-moderne ! Homère n'est pas si loin , Circée ... N' empêche , y a des botanistes bien singuliers ...
Avant de tourner le coin du bistrot , oui vous avez compris , avec mes cliques et mes claques, j'ai juste pris le temps d' un coup d' oeil sur l' enseigne ... Merlin Déméter , fleuriste pépiniériste ... Que vous sachiez ... Si vous m' croyez pas allez-y voir , vos risques périls ... vous pourrez toujours le saluer " Monsieur Merlin ? Enchanté ... " Mais riez pas trop , ce Déméter pour ce que j' en ai appris appartient à une famille dont la lignée remonte jusqu' à l' antiquité  , longue tradition agricole , en Grèce parait-il ... Déméter , cherchez sur Google ... Allez-y si vous osez  asseyez-vous ...