L' embarquement , j'vous disais ... D'abord , fallait descendre les dériveurs ... à la cloche , qu'on nous f'sait l' branle-bas ... La cloche ! Moi qui suis pas loin d'y être , de la cloche ... Clochard certes , ou pas loin de l' être , du moins selon les critères occidentaux , mais : céleste ( entendez : comme l'empire céleste : sérénité et yop la boum ! ) ... voilà que j'veux vous causer de la cloche en bronze qui rythmait la vie à bord du Centre ! Entre deux géants safrans qu'elle était , la cloche ... à côté de l' Aquarium ... Vous situez ? ... cette espèce de place , limtée par un genre de maquis d' épineux , où on faisait l' "accueil " des stagiaires ... cet " accueil " me paraissait une concentration déplaisante d' êtres humains , une kermesse bigarée et inquiète , des gens qu'il allait falloir fréquenter 2 semaines ... bon , ça va , j'arrête , mais vous voyez que la misanthropie elle me vient de loin ! La cloche , je disais ...pour la descente des dériveurs ... au petit matin un peu blême , avant le p'tit-d`j' ... j' vous remets dans l' ambiance ... On s' trimbalait les Vauriens , les 4.20 , 4.45 , mowglis , 4.7 ... Ah mais sans chariot ! on parle des temps héroiques ! Le luxe est venu plus tard , avec l'afflux des hordes de 200 stagiaires par quinzaine ... des gugusses venus de partout , mais pour les autochtones c' étaient au mieux " les tourist' " et au pire les Parigots-têtes-de-veaux Parisiens-têtes-de-chiens . Ah ! Vous frappez pas , juste je dis la vérité , même avec Internet le chauvinisme-esprit-de-clocher existe ... un seul esprit par clocher ... y'en a plein des gens qui croient que leur tribu c'est la seule et la meilleure ... des " imbéciles heureux qui sont nés quelque part " , chantait Monsieur Brassens . Toujours est-il qu'au bar " L' Hermine " de Logonna-Daoulas , les stagiaires c'était " les parisiens " . Ou " les tourist' " ... même pour la svelte et blonde adolescente qui servait derrière le comptoir du bar ... "L Hermine " j' vous ai dit ... elle , son regard emprunt généralement d' une insondable et intrigante vacuité , elle dont l' oblongue boite cranienne , ornée d'une frange couvrant le front , avait motivé le surnom de Nuts ... ou c' était Treets ? ...
J' vous causais du luxe ... grace aux stagiaires ... Ils ramenaient de l'artich ' mine de rien ! les 200 gugusses ... Ça leur a donné droit aux chariots pour descendre les dériveurs ... aux moteurs aussi z'ont eu droit , pour faire les embarquements sur prame ... pourtant , la godille , son mouvement chaloupé un peu voyou , les pieds bien calés , un peu écartés ... impulsion des genoux se prolongeant par un déhanchement élastique , le bassin sur rotules , balancement synchrone des épaules , coudes et poignets à la fois flexibles et fermes ... Si l'aviron tenait le coup au départ , si il supportait en ployant mais sans rompre les premiers "8" , ceux qui lançaient la prame chargée ras-la-gueule , alors t'avais plus qu'á caresser l'eau pour garder l'erre , une main ... peinard , pépère ... sauf si pour rejoindre les mouillages de Caravelles , Ca.co , Mentors , Cigognes ( un jour je vous causerai d'une croisière de 7 jours sur une Cigogne , on avait 12 ans , y f'sait froid ... ) , sauf donc si il y avait du " jus " , lá tu mettais les deux mains sur le manche et... le manche ? les deux mains ? Tout ça est très freudien , j'en vois encore qui rigolent ! Sachez messieurs-dames les rieurs que je suis ambidextre ... " comprenne qui veut ... ou qui peut " ( ça c'est du Bobby Lapointe ) .
Bref , le tout pour la godille c'est que l'embarcation , le bonhomme et la pelle de l'aviron fassent qu'un ... un peu comme le truc de Marco pour soulever l' étrave d' un Vaurien ... sans effort apparent ... tout dans l'art ... geste ... le style naturel ... La descente des dériveurs ... Vous voyez que je perds pas le cap , je louvoie , certes , mais le cap : tenu ! fidèle aux préceptes , votre timonier ," contourner les caps et saluer les grains " . Les stagiaires ... pour eux c'était une sauvagerie , la descente des bateaux ! La mise à l'eau ! Ça ralait sec , de devoir bosser au sortir du lit ! Pas habitués à des horreurs pareilles , les pauv' citadins ! J'ai un pote comme ça , sans son café il est personne ... il existe pas ... Là avec les stagiaires , pareils . Si ça regrettait les cafés-croissants ! Même avec des chariots ... qu'on voulait leur mort ... que c' était pire que la Berezina ... la retraite de Russie , l' exode des fils d'Israel hors d' Egypte , la longue marche de Mao , surpassées par la tribu des irréductibles bretons qui leur faisait porter des bateaux lourds comme des menhirs ... à preuve , y' en avaient qui cherchaient à se planquer , se défiler , tireurs au flanc insolidaires de leur pairs ... et pas les plus malingres ... Si j' vous dis que l'être humain est un sale con , tòt ou tard ... regardez : moi ... Bon . Pour les croissants de toute façon , y pouvaient toujours se brosser , en guise y avait pain-beurre-confiture ... fraise ou abricot , la confiture ... pas d' la " Bonne Maman " , d' la confiote en boites de 8 kilos que " l' homme de jour " se chargeait de faire répartir par tables de 12 . L' homme de jour ... dans la Royale on aurait dit : le commissaire de bord . Mais le Gros devait trouver que l'époque était déjà bien assez riche en commissaires de tous poils ... alors on disait : homme de jour , çuilà qui organisait le bocson à terre... Pas de croissants , j' vous disais ... Ah !... Mais cette miche ... ce pain encore tiède du fournil ( des fois , en fait : pas souvent ) , miche dorée croustillante par dehors , savoureuse tendre par dedans ... les charmes d'une fille des îles-sous-le-vent et d'une vestale nordique réunis par l'art d'un boulanger ... Yin et Yang . Non , sans rire ! Ces tartines c' était un peu de Capoue et ses délices ... Surtout après l' effort ... après l' effort , le réconfort , ça a pas d'age ça ... À faire la mise á l'eau des dériveurs , vous vous souvenez , petit matin , blême , des fois bruineux , tu te réchauffais d'abord , à trotter en portant 30-40 kilos , ta portion du poids ... d'un Vauvau l'autre tu te coltinais le double quintal , mine de rien ... tu te réchauffais le corps , et l'ame aussi , à faire le boulot en groupe ... Jusqu'au moment où la flotte rentrait dans tes bottes ... Lá alors c'est quand tu te réveillais pour de bon ...là y avait plus de faux-semblants , que tu les voyais les ames trempées dans l'iode du varech et la pluie salée , et les autres , celles qui rêvaient teinture d'iode et sels de bain . Ouiche ! Elle valait son pesant de bonheur , la tartine coupée à l' Opinel , miche à plein bras , celui qui coupait on lui voyait un sourire qui trompait pas ... Un poète ! Trouvez-moi un poète pour chanter le geste auguste du trancheur de pain de campagne !
Tout ça c' est les plutôt bons souvenirs , mais vous avez le droit de savoir ... je confesse ... en plus de con-fesser ... les petites conneries , les virées au Moulin le samedi soir , les flirts , les plans frimeurs avec les Mentors , les soirées Bob Dylan Alan Stivel ( à Toutoune , c' qui lui plaisait c' était plutôt Jhonny et Sylvie , moi j' donnais Antoine , Dutronc , Brel , Dick Annegarn et Beatles ) , une ou deux mufflées , de tout ça : coupable . Mais le truc qui m' a fait flipper en couleur et en stéréo , c' est la fois où j' ai coulé un genre de canot fabrication artisanale d'un brave vacancier qu' avait embarqué sa famille au grand complet . Papi , mamie , tonton , bobonne , les mômes , tout ce p'tit monde tassés dans l'cockpit , bien sagement assis , le papa cap'tain fier comme Artaban à la barre ... Ils sortaient tout doucement de l'anse du Moulin , plus poussés par le courant que par le petit Suroît annonciateur d'une énième dépression ... tirant bord sur bord entre les mouillages plus ou moins forains , crochant leur dérive dans les espars flottants , se dégageant à coups de gaffe , foc à contre , " Ginette , largue au taquet !... Raymond , fais-moi contre poids ! Les enfants , poussez-vous -- ( Où ça qu'y z' auraient pu s' pousser ? ), attention ! " . Serviteur , 14 ans , chef de bord d' une des deux Caco , bien décidé à faire envoyer le spi avant Goasqueillou ( et ses trilobytes , vous oubliez pas ? ) avait tiré un p'tit bord vers la pointe sus-dite , histoire de tout remettre au point avec les 4 stagiaires : tangon , écoutes , hale-bas de tangon , manoeuvre de dérive ... donne la voix d'abattre vent arrière -- " __Sans empanner , ok ? Une fois envoyé le spi on remonte au largue et on s' met dans l' chenal . " -- ... Bref le plan super efficace , que même Nelson celui de Trafalgar ( le cap de Trafalgar , j' l' ai quasi devant ma fenêtre ) et de Santa Cruz de Ténérife ( ousque j'ai cherché dans la rade , au milieu de globicéphales , le bras qu'un canon françose lui avait arraché ) , que même lui l'Amiral saxon il aurait salué d' un coup de rhum ou de malvoisie ! Une manoeuvre pensée , jaugée , organisée , planifiée , du prêt-à-consommer faut-il que j'vous l'emballe ... bref ... Bibi laisse sa meilleure barreuse seule 10 secondespour surveiller le hissage du spi depuis le pied de mât ... on est au grand largue , ça bourre ... enfin ... pour une Caravelle ça bourre ! ... la drisse de spi se tend , siffle dans la brise , z' y va , ça baigne ... le gars qui tient le sac de spi et maintient les deux ralingues jointes ... merde : s'empatouille , se tord la cheville sur la chaine d'ancre , j'lui donne un coup de main pour se remettre debout , j' ordonne l'abattée pour gonfler le spi , et en relevant la tête je vois... par tous les Tritons de la ville d'Ys , je vois ce pauv' canot' , familial , proméne-couillons qu' il l' a qualifié , le Gros , plus tard... juste sur mon étrave ... Le moment : figé dans ma tête ... congelé , arrêt sur image ... Blang ! Klong ! Clac !... Z'ont pas tardé deux minutes pour sombrer corps et biens ... enfin , corps , non , heureusement ... Ç' aurait pu ! Mais non , ça pataugeait , la famille Fenouillard , dans leur baignoire qui se remplissait inéxorablement ... Le cap'tain s'accrochait au mât de sa baille qu' allait par le fond , sa casquette fantaisie se dévissait de son crâne pour voguer toute seule au gré des flots ... Tu parles qu'on l'a affalé , le spi ... puis empannage rapide , bibi Boubou à la barre , revenir sur les lieux de crime , du naufrage , de l' éperonnage ... Récupèrer les gosses , le Jackez Coz venant repêcher le reste ( merci Sergio ) . Tu parles si j' m' attendais á l' engueulade monstre , à la Vigie , dans l' bureau de Gros ... Il m' a juste demandé un rapport précis des évènements ...
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